mercredi 23 juin 2010

Les Bleus, la Nouvelle star et ma fille de six ans



Samedi matin, maison de la presse du Faubourg-St-Denis. Luce, la Nouvelle star 2010, fait la Une d'un hebdomadaire people. De l'autre côté, sur le présentoir, des injures s'étalent à la première page de L'Equipe. On se dit incidemment que l'on a été bien inspiré d'échouer à convertir notre fille de six ans à la magie universelle du futebol. On se dit aussi qu'entre l'émission de télécrochet de M6 et les aventures de la délégation française en Afrique du Sud, les rôles se sont inversés.

En théorie, mettre en regard la Coupe du monde et la Nouvelle star revient à opposer deux logiques antagonistes. La première est collective par essence. Trente-deux équipes s'opposent à coups de schémas tactiques, d'efforts solidaires, de mutualisation des talents et de combinaisons travaillées à l'entraînement. Par des castings de plus en plus sélectifs, la Nouvelle star organise un affrontement entre 30.000 individus dont un seul sortira vainqueur de l'enveloppe de Me Nadjar.
Pour ces jeunes gens, l'enjeu est immense. Le lauréat, qui décroche un contrat avec une maison de disques, se voit offrir l'opportunité de démarrer une carrière avec une notoriété fermement établie par dix émissions en prime time suivies par 3 à 3,5 millions de téléspectateurs. Et la perspective d'un disque d'or plus certaine qu'un ballon d'or pour Franck Ribéry.

Gagner la Nouvelle star, c'est s'épargner le long parcours que connaissent tous les jeunes musiciens et que résume ainsi le chanteur Dominique A: "Je pensais naïvement qu'un producteur allait nous repérer (...) Mais j'ai appris des tas de choses que beaucoup de jeunes chanteurs ignorent aujourd'hui, ils n'ont jamais chanté devant trois Bretons bourrés qui leur réclament Satisfaction." Ne pas avoir à chanter devant les amis de Dominique A pour espérer un jour percer, voilà l'enjeu immense de cette émission de télécrochet.

Pourtant, cette finale de la Nouvelle star, saison 8 s'est transformée en un éloge de l'entraide et de la solidarité. On y a vu, geste rare, le vaincu se porter au secours du vainqueur. On y a vu François Raoult offrir avec superbe sa voix et son épaule à Lucie Brunet, submergée par l'émotion tel un Patrice Evra à l'heure des hymnes. Au-delà de l'enjeu, au-delà de l'ego meurtri par la défaite, il s'est produit ce soir-là un événement certes microscopique mais d'une belle portée symbolique.

Pendant ce temps-là, en Afrique du Sud, le collectif chanté sur tous les tons par les joueurs et le staff de l'équipe de France a volé en éclats. Les 4-3-3, les 4-2-3-1 se sont mués en 1-1-1-1-1-1-etc. "La différence entre nous et le Mexique, explique le milieu récupérateur Jérémy Toulalan, c'est que le Mexique était un collectif, et nous onze joueurs. Ce qui nous a manqué, c'est d'être collectivement ensemble." A l'heure où s'écrivent ces lignes, le dernier match des Bleus reste à jouer et tout peut être envisagé, jusqu'à l'altercation entre deux coéquipiers comme cela s'est déjà vu. Quoi qu'il arrive, on rêvait que le monde les acclame, on espère à présent qu'ils prendront leur retraite bien avant soixante-deux ans.

Un second constat émerge du parallèle dressé entre la Coupe-du-monde-de-la-FIFA-des-Bleus qui-sont-des-hommes et la Nouvelle star. Pour la première fois en huit saisons, M6, le diffuseur, et Fremantle, le producteur, ont levé un coin du voile sur le grand mystère de l'émission: le choix des chansons interprétées par les candidats. Pour la première fois, des séquences ont montré les concurrents, le staff technique et le producteur discuter, proposer, échanger. Nous ne sommes pas dupes: dès lors qu'il y a montage, il y a choix. Mais cette transparence maîtrisée a marqué un tournant pour les nouvelle-staristas.

Pendant ce temps-là, à l'hôtel Pezula de Knysna, les Bleus se sont enfermés dans leur stratégie de la bunkérisation bien ancrée dans leur sous-culture de la gagne. On a vu des pseudo-cadres refuser tout autre contact avec les journalistes qu'un majeur tendu vers le ciel bas et lourd. On a vu des conférences de presse formatées pour unique canal d'échanges ouverts. Ce verrou a cédé sous le décalage complet entre le playback officiel du groupe qui vit bien, sa transposition balle au pied et l'explosion hallucinante du week-end dernier. "Il n'y a plus d'osmose, plus personne au diapason/Il n'y a plus de putes, il ne reste que les visons/Il n'y a plus d'ensemble, il n'y a que des divisions." (1)

On se réjouira donc d'avoir misérablement échoué à convertir cette petite fille de six ans à la magie universelle du futebol. On se réjouira donc de l'avoir laissé suivre la huitième saison de la Nouvelle star. Et on conclura en proposant qu'André Manoukian succède à Raymond Domenech et que l'esprit de Baltard anime les futurs porteurs du maillot bleu.

(1) Sans viser personne, Benjamin Biolay, extrait de La Superbe, 2009